Matérialiser des activités toujours plus immatérielles

L’association belgo-française des bureaux d’architectes Baukunst et Bruther a remporté le concours organisé par la SAU

L’appel aux auteurs de projet lancé en 2017 par la Société d’Aménagement Urbain a suscité 51 candidatures de bureaux d’architectes belges ou étrangers comme de groupements internationaux. C’est l’association des bureaux Baukunst (Bruxelles) et Bruther (Paris) qui est sortie lauréate de la procédure d’attribution.

Rencontre avec les architectes Adrien Verschuere (Baukunst), Alexandre Theriot et Stéphanie Bru (Bruther).

N’est-ce pas paradoxal de concevoir un immeuble-phare, future vitrine d’un quartier centré sur les médias et lui-même siège d’un écosystème médiatique, alors que ce secteur d’activités est de plus en plus marqué par la dématérialisation liée aux évolutions technologiques, tant pour la production que pour la consommation de contenus ?

A.V. : Effectivement, ce projet tente d’interpréter, avec les moyens architecturaux dont nous disposons, la présence de l’image et de l’information dans un mouvement inexorable d’accélération et d’interaction des médias. Engagé dans une dynamique de dématérialisation de ses supports, l’environnement médiatique a paradoxalement besoin d’affirmer et de manifester sa présence dans la ville. Le projet a été envisagé selon ce paradoxe : matérialiser dans l’espace urbain la présence d’un contenu voué à sa disparition.

Notre proposition soutient cette question par le biais des différents temporalités induites par la constitution entre la ville et l’architecture :  d’une part, la relative permanence de la forme urbaine, et, d’autre part, la versatilité des façons de l’habiter. Ces enjeux se traduiront par une intervention signifiante qui affirmera sa visibilité du point de vue urbain, tout en offrant un édifice à l’image d’une plateforme d’échange, souple et appropriable dans le temps pour une communauté d’utilisateurs la plus large possible.

Frame doit en effet tenir compte de la cohabitation de plusieurs occupants assez différents, avec leurs besoins spécifiques, mais aussi de l’évolution technologique très rapide du secteur des médias, de l’audiovisuel et de la communication…

A.V. : Le projet a été conçu pour être ouvert sur des besoins qui ne sont pas encore présagés aujourd’hui et dont on peut d’ores et déjà imaginer qu’ils seront multiples et hybrides. Constitué d’une succession de plateaux modulables, largement ouverts sur l’extérieur, affranchit de toute contrainte structurelle, il permet des possibilités d’aménagement variées aussi bien que sa réversibilité dans le temps. Combinée avec l’implantation périphérique des circulations des personnes et des distributions techniques, cette typologie offre une très grande performance d’utilisation.

A.T et S.B. : Le bâtiment sera une sorte d’emblème d’un domaine mouvant, en constante évolution, car il offrira une grande flexibilité et assurera ainsi une pertinence des usages à long terme. Il fallait imaginer un lieu à la rencontre de tous les flux, à la rencontre des idées, des rêves, des investisseurs et des visiteurs. Créer un lieu de tous les usages, de tous les échanges, de toutes les interdisciplinarités, l’envisager là comme un lieu d’expression, d’épanouissement et de liberté. Dans un environnement urbain en plein renouvellement, Frame établira un dialogue subtil avec son site pour devenir une figure architecturale emblématique d’un quartier créatif.

Comment Frame s’inscrira-t-il sur le territoire, à la croisée d’un large boulevard urbain, du site des radio-télévisions publiques RTBF et VRT, du futur mediapark.brussels et d’un axe de pénétration important ?

A.V. : Le projet tire parti de son environnement urbain assez hétéroclite afin d’offrir une présence relativement différente selon ses différentes orientations, qu’il s’agisse de sa visibilité sur le boulevard Reyers, depuis l’autoroute ou de la perspective rue colonel Bourg. Au sud, le parvis du bâtiment annonce l’un des accès piétons principal du futur mediapark.brussels, notamment depuis la station métro Diamant. De ce côté, le développement et le traitement architectural de cette façade préfigureront la présence du nouveau quartier à l’échelle de la ville et, de façon plus lointaine, depuis l’une des entrées principales de Bruxelles via l’autoroute E40.

Cette collaboration entre vos deux bureaux pour concevoir Frame constitue-t-elle une première ?

A.T et S.B. : Non, elle s’inscrit dans le prolongement de projets d’envergure menés ensemble, tels que le nouveau bâtiment pour les Sciences de la Vie sur le campus UNIL-EPFL à Lausanne, en Suisse, ou la construction d’une résidence étudiante sur le campus de Saclay, en France. Forte de valeurs communes et d’une indéniable complémentarité, notre collaboration franco-belge s’enrichit de sa nature internationale. Et à nos yeux, concevoir et construire « à deux pays » renforce de facto le caractère européen de ce bâtiment.